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18e Congrès des Régions de France à Vichy - Intervention d’Huguette BELLO

16 septembre 2022

Je souhaite pour commencer remercier vivement Véronique Bertile d’avoir su en peu de temps montrer que si les Outre-mer se conjuguent désormais au pluriel ce n’est pas seulement du fait de leur appartenance géographique ou de leurs développements historiques, mais aussi, désormais, en raison de la diversité de leurs configurations institutionnelles et statutaires. Depuis la première décennie du 21e siècle, nous sommes passés d’une logique d’uniformité, de moins en moins crédible, à l’ambition du « sur mesure », certes plus exigeant mais tellement plus en phase avec les attentes légitimes des citoyens vis-à-vis des politiques publiques.

Les Outre-mer se déclinent donc au pluriel. Comme le démontrent nos collègues ici présents, aucun de nos territoires n’est réductible à un autre et les préconisations valables pour l’un ne le sont pas forcément pour l’autre. Elles ne sont pas interchangeables. La refondation des relations entre l’État et les Outre-mer n’aura de sens et de portée véritable que si elle est pensée et mise en œuvre de manière différenciée.

Cette refondation devra être déclinée territoire par territoire si elle ne veut pas être mort-née. Oui, c’est un changement complet de logiciel pour l’État mais aussi parfois pour nous-mêmes si j’en crois certaines réactions ; j’allais dire certains réflexes automatiques ; à l’Appel de Fort-de-France.

En ce qui concerne la Réunion, cette déclinaison a un nom : c’est l’optimisation des potentialités constitutionnelles. Qu’il s’agisse de
l’adaptation, ce vieux principe rénové et élargi, ou de l’expérimentation de droit commun dans sa toute nouvelle version, les marges de manœuvre existent encore.
Cette déclinaison a aussi un objectif : celui de lever les obstacles normatifs, qui du fait de leur inadéquation ou encore de leur carence, entravent les politiques de développement et découragent les initiatives.

Vous le voyez, on ne parle pas ici de changement statutaire qui, notons-le, est, assorti de solides garanties démocratiques, en premier lieu le vote des citoyens par voie référendaire. Il ne s’agit pas non plus de modifier l’architecture institutionnelle. Nous voulons ouvrir une nouvelle dynamique de développement à partir de la valorisation de nos atouts qui, vous le savez, sont nombreux.
Et cette nouvelle approche est fédératrice.

C’est dans cet esprit que la Région Réunion vient de lancer le projet de la « Nouvelle Économie » dans le cadre du schéma Régional de Développement de l’Économie, de l’Internationalisation et d’Innovation (SRDEII).

Prenons par exemple l’objectif de souveraineté alimentaire qui fait l’unanimité. La Réunion produit déjà plus de 75% des fruits et légumes frais consommés localement. Mais on peut aller beaucoup plus loin, notamment dans la filière animale. Nos filières agricoles sont performantes. Mais en raison d’un cadre normatif inadapté, les productions agricoles ne peuvent pas bénéficier d’une protection phytosanitaire efficace en milieu tropical où pour le dire vite la nature ne s’arrête jamais. Ici preuve est faite dans les champs comme au Parlement que la transposition des normes et des
procédures élaborées pour des climats tempérés ne suffira pas pour une agriculture performante et répondant aux besoins locaux.

Autre exemple qui concerne cette fois l’insertion de la Réunion dans son environnement géo-économique. Notre île est sur l’axe d’échanges Afrique-Asie qui est en forte expansion économique et en plein dynamisme démographique. L’Indo-Pacifique c’est 60% de la richesse mondiale et la moitié de la population de la planète.

Devons-nous, et pour quelles raisons, nous résigner à demeurer les spectateurs passifs de ce mouvement mondial qui se déroule à nos portes ? Le temps n’est-il pas venu de mobiliser mais aussi d’élaborer les règles et moyens juridiques nous permettant de déployer nos stratégies de codéveloppement régional ? Il y va de la création d’emplois particulièrement pour notre jeunesse, de la diversification de nos sources d’approvisionnement, du coût du fret, de l’empreinte carbone.

Autant de perspectives qui doivent nous donner le courage et la ténacité nécessaires pour plaider et obtenir la capacité de conclure des accords commerciaux avec des pays de notre voisinage, et aussi d’être pleinement associés aux accords conclus par l’Union européenne ou la France. Et pour celles et ceux qui, à ce stade, ne seraient pas encore tout à fait convaincus de cette évolution, je rappellerai seulement que plus de 98% des prises dans notre bassin maritime sont le fait de flottes extérieures à notre île et que notre droit de regard est égal à zéro.

Le mandat que les Réunionnais nous ont confié lors des dernières régionales est clair : c’est de produire l’avenir. C’est créer les conditions pour bâtir notre développement durable. Cette responsabilité nous oblige à une attention soutenue à l’égard de la question de l’énergie, cruciale à plus d’un titre.

Notre ambition est claire et rencontre l’objectif de la France d’être à l’échelle mondiale le premier grand pays à sortir de la dépendance énergétique d’ici 2050. La Réunion souhaite être la première région neutre en carbone et autonome énergétiquement en 2035. Avec la mer, le soleil, le vent, le volcan, la biomasse et l’eau, la nature a généreusement doté la Réunion de potentialités considérables dans la marche vers les énergies renouvelables. Nous avons recensé les différentes filières à développer. Nous savons œuvrer pour mobiliser les moyens financiers correspondants. Les compétences sont
disponibles grâce à une jeunesse de mieux en mieux formée. L’adaptation des normes et de la réglementation est indispensable pour atteindre l’autonomie énergétique.

Alors, au nom de quels dogmes, les normes juridiques seraient-elles destinées à rester intouchables ? Pour quelles raisons, à l’abri de quels prétextes, devrions-nous tourner le dos à la différenciation normative et contrarier notre grand objectif stratégique de l’autonomie énergétique ?

Ces exemples illustrent notre méthode, celle du pragmatisme, où partant des contenus, nous sollicitons les voies et moyens correspondants parmi lesquelles la formation et les règles juridiques ne sont pas les moindres.

Aborder les aspects normatifs, c’est donner toutes ses chances aux stratégies de développement, c’est élargir l’espace des possibles, c’est reconnaître pleinement toutes nos particularités.

Aborder les aspects normatifs, c’est donner toutes ses chances aux stratégies de développement, c’est élargir l’espace des possibles, c’est reconnaître pleinement toutes nos particularités.
La procédure des habilitations a 15 ans. Nous ne méconnaissons ni ses limites, ni sa lourdeur, ni les améliorations souhaitées et souhaitables. Mais les modalités qui encadrent strictement les différentes étapes du processus sont aussi de solides garanties constitutionnelles. C’est pourquoi optimiser les potentialités de l’article 73 passe nécessairement à la Réunion par la suppression de l’alinéa 5 ; l’alinéa pa Kapab ; cet alinéa prohibitif qui nous empêche de fixer localement des règles normatives que notre développement exige.

Tout le monde connaît les fantasmes et épouvantails qui ont été agités pour justifier cet alinéa et tromper les Réunionnais. Force est de constater qu’aucun des scénarios catastrophes annoncés ne s’est réalisé dans les Antilles ou en Guyane où l’article 73 s’applique pourtant in extenso.

Tout le monde connaît les fantasmes et épouvantails qui ont été agités pour justifier cet alinéa et tromper les Réunionnais. Force est de constater qu’aucun des scénarios catastrophes annoncés ne s’est réalisé dans les Antilles ou en Guyane où l’article 73 s’applique pourtant in extenso.

Forger des menaces imaginaires contre lesquelles on échafaude les moyens d’y échapper a engendré de grandes œuvres littéraires. Mais dans la vie « en vrai », c’est construire un écran qui masque la réalité, avec ses inégalités de plus en plus insupportables, ses nouvelles vulnérabilités, ses colères de moins en moins silencieuses.

La suppression de cet alinéa 5 ne résoudra pas d’un seul coup tous nos problèmes pas plus que n’importe quelle autre évolution. Mais, outre qu’elle permettrait d’ouvrir de nouvelles possibilités, elle serait d’une grande portée symbolique. Elle signifierait que nous faisons confiance en nous-mêmes, que nous croyons en notre capacité collective d’agir pour les intérêts propres de la Réunion et des Réunionnais. Dans la démarche pragmatique que nous préconisons, cet acquis se révélera une pièce maîtresse.

Huguette BELLO

Présidente de la Région Réunion

Vichy – Le 15 septembre 2022